Pura vida : Vie et mort de William Walker by Patrick Deville

Auteur:Patrick Deville [Deville, Patrick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature française
ISBN: 9782757813812
Éditeur: Seuil
Publié: 2009-05-13T22:00:00+00:00

Après quatre mois d'un voyage périlleux, une grave blessure encore une fois guérie à l'huile de cacao, Oviedo atteint Panama en septembre 1529. Il gagne aussitôt le Darién et embarque pour l'Espagne avec ses manuscrits, dont il fera circuler quelques copies dans l'entourage royal. Il offrira une fiole d'huile de cacao à Isabelle de Portugal, l'épouse de Charles Quint. Ces présents ne seront pas vains. Le 15 octobre 1532, une cédule lui confère la charge de chroniqueur officiel de la couronne, une pension de trente mille maravédis, ainsi que le titre de capitaine de la forteresse de Saint-Domingue au cœur des Caraïbes.

Voilà un homme de cinquante-sept ans qui ne voyagera plus que dans le passé.

Il lui aura fallu un demi-siècle de périls pour s'assurer le calme et le retrait du monde, l'assurance du gîte et du couvert. Enfermé dans l'obscurité de sa forteresse, derrière les grands murs qui suintent, il attend maintenant que le passé vienne à lui.

Le port de Saint-Domingue est encore un carrefour maritime. De toutes les Indes, les documents d'archives de la conquête lui seront apportés au gré des voyages, ceux de Pizarro pour le Pérou et ceux de Martín de Orúe pour le Río de la Plata. Il rencontrera les conquistadores survivants, parmi lesquels Gonzalo Jiménez de Quesada et Álvar Núñez Cabeza de Vaca qui lui rapporteront de vive voix leurs aventures immenses. Le premier avait conquis l'actuelle Colombie, et fondé la ville de Santa Fe de Bogotá. Le second, rescapé en 1528 du naufrage de la flotte de Narváez, avait traversé seul l'actuelle Floride et l'actuel Texas encore innommé. Tantôt esclave et tantôt medicine man dans les tribus indiennes, il lui avait fallu six ans d'errance solitaire pour rejoindre les Espagnols au Mexique. Il avait plus tard remonté le Río de la Plata jusqu'au fleuve Parana, était devenu gouverneur du Paraguay avant d'être destitué, renvoyé en Espagne et exilé à Oran… Et l'on imagine ces vieux héros parcheminés et fourbus, assis dans des fauteuils au fond du désordre de la grande bibliothèque, leurs vieux visages que balafre la lumière des torches, leurs barbes blanches, leurs mains noueuses et tremblantes qui dessinent dans l'espace des pampas inconnues et des jungles pluvieuses, leurs bouches qui évoquent l'odeur de la vase et des chevaux morts entre leurs jambes, du fer rouillé, et les festins des cannibales au visage rayé de sang et de suie, aux chevelures ornées de plumes de perroquets.

Chaque année qui passe l'isole du monde des vivants et Oviedo atteint au bonheur. Le vieux spectre reclus tout au fond de l'immense bibliothèque entreprend la compilation de tous ces témoignages, corrige inlassablement ses manuscrits, reprend dix fois l'architecture de son grand œuvre, et ne s'interrompt que le temps d'écrire d'autres ouvrages sur l'Espagne aux temps héroïques de don Juan.

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